Le livre de la forêt bleue : Le grand secret
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Cet ouvrage fait partie du domaine public parce que son auteur est décédé depuis plus de 70 ans, ou à cause d'une disposition légale liée à cet auteur. |
Le soleil était déjà bas sur I'horizon quand Jeannette quitta la Forêt Bleue.
- Il est temps de rentrer, lui avait dit la Dame. Voici bientôt I'heure de dîner.
Jeannette était revenue chez elle, la tête pleine du refrain des chansons apprises, de rires joyeux, de beaux souvenirs. Et elle ne savait si elle avait plus de regret de quitter ses nouvelles amies, ou plus de hâte de raconter à ses parents, à sa mère-grand, sa merveilleuse aventure.
- Jeudi prochain je reviendrai, songeait-elle.
Ce jeudi-là, Jeannette se mit en route suivie de Pataud et de ses moutons. Mais sa maman avait gardé François, parce qu'il avait pris froid la veille, en barbotant dans la mare tout comme un petit canard. Les canards, eux, ne s'enrhument pas parce que I'eau glisse sur leurs plumes, que Dieu leur a faites à la manière des meilleurs imperméables. Mais elle entre dans les souliers des petits garçons imprudents ou maladroits.
Jeannette, cette fois, n'eut point de peine à traverser la rivière. Elle la franchit, non sur une passerelle de fleurs, mais tout simplement sur un pont qu'elle s'étonnait de ne pas avoir découvert I'autre fois.
- C'est que tu n'étais pas encore entrée dans notre Ronde, Jeannette. Les petites filles de la Forêt Bleue connaissent le meilleur chemin, celui qui ne trompe pas.
Cette fois encore il y eut des jeux, et des chants, et de la joie.
- Et les moutons ! direz-vous. Les moutons, ils étaient bien sages. Sans doute qu'à cette place I'herbe était plus tendre, plus savoureuse que partout ailleurs. Ils ne songeaient pas à s'éloigner, ailleurs. et paissaient paisiblement.
D'ailleurs Pataud veillait sur eux.
La Fée avait accueilli Jeannette avec son plus beau sourire..
- Bonjour Madame, avait dit Jeannette.
Et les autres petites filles s’étaient mises à rire :
- Ce n’est pas ainsi qu’il faut m’appeler, avait dit la Fée doucement.
- Bien sûr, puisque vous êtes Mademoiselle Madeleine, avait ajouté la plus bavarde des fillettes.
- Je suis Mademoiselle Madeleine au village. Mais ici, qui suis-je ? dit la Fée.
Alors toutes les petites filles avaient pris un air mystérieux, cet air de contentement et d'importance que I'on prend lorsqu'on est sûr de savoir quelque chose que les autres ne savent pas.
On voyait qu'un mot, le même, était sur toutes les petites bouches rondes. Il y frémissait comme un oiseau qui va s'échapper de la cage. Et la plus petite le retenait de. son poing fermé, pour être bien sûre qu'il ne s'envolerait pas malgré elle.
- Jeannette connaît notre loi, dit la Fée. Elle est entrée dans la Ronde. Vous pouvez lui dire mon nom.
Alors toutes les petites filles crièrent ensemble :
- Joyeuse ! Joyeuse I Joyeuse !
- Joyeuse ? répéta Jeannette avec des yeux étonnés.
- Oui, Joyeuse, dit la Fée. Et pourquoi ?
- Parce que c’est le nom que nous aimons le mieux, dit l’une des petites bleues.
- Parce que nous sommes toujours contentes d’être avec vous, dit une autre.
- Parce que vous nous apprenez de belles choses.
- Et de belles histoires.
- Et des nouveaux jeux.
- Parce que vous avez des yeux qui rient, dit la plus petite...
Comprends-tu, petite Jeannette. Pour les autres, pour tout le monde, je suis Mademoiselle Madeleine. Mais pour vous, dans la Forêt Bleue, je suis Joyeuse.
C'est un nom du pays des fées, qu'il ne faut dire à personne. A votre maman, bien sûr, car une petite fille n'a pas de secret pour sa maman. Mais ni aux voisins, ni à l’école. C’est pour vous seules que je suis Joyeuse.
Sais-tu ce que c'est, Jeannette, que de garder un secret ?
Jeannette fit oui de la tête. elle était trop émue pour parler.
Mais elle pensait : C'est de ne rien dire, quand même on vous couperait la tête pour vous faire parler.
Et sans doute que Joyeuse (n'était-elle pas un peu fée ?) comprit ce que pensait Jeannette, car elle se pencha sur elle pour I'embrasser.
