Le livre de la forêt bleue : Prologue

De Scoutopedia
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Cet ouvrage fait partie du domaine public parce que son auteur est décédé depuis plus de 70 ans, ou à cause d'une disposition légale liée à cet auteur.


C'était un beau matin de mai. La maman de Jeannette dit à sa petite fille :

- La rosée est séchée. Sors les moutons de l'étable et mène-les dans les prés du côté de la forêt.

Tu prendras avec toi ton petit frère François et le chien Pataud pour rrous garder tous.

Jeannette fit comme sa maman lui avait dit.

Et la voilà marchant sur la route, sa houlette à la main, de I'autre un petit panier rond.

Et que pensez-vous qu'il y avait dans ce panier ? Son déjeuner, peut-être... des cerises... Y a-t-il des cerises au mois de mai ? De bonnes tartines de pain bis avec du fromage blanc et des pommes toutes ridées, des pommes de l'an dernier qui sentent la rose et la paille.

Le petit François s'accrochait à sa jupe.

Les moutons allaient serrés les uns contre les autres. Ils faisaient «bê, bê» , les uns avec une voix grave, les autres avec une voix claire, et les petits agneaux bêlaient le plus doucement, gambadant sur leurs jambes de laine.

Pataud qui était un bon chien, ne les laissait pas s'écarter.

Si Jeannette s'était retournée pour regarder en arrière, elle aurait vu son village, les toits rouges, ou gris, ou de chaume, les clos de pommiers, les maisons blanches avec leurs nids d'hirondelles; plus haut que les toits, le clocher, et le coq d’or dans le ciel.

Bientôt elle atteignit le pré. ll s'allongeait d'un vert tendre, et toutes les fleurs du printemps y ouvraient leurs corolles fraîches; les boutons d'or, les pâquerettes, d’autres encore. Quand elle vit le soleil tout droit au-dessus de sa tête, Jeannette pensa que l'heure de son déjeuner était proche. Bt voici que l'Angélus de midi se mit à sonner à toutes les paroisses.

Après avoir fait sa prière, Jeannette étendit sur l'herbe un mouchoir propre, et elle ouvrit ' son panier. Elle fit deux parts égales, une pour elle, une pour François, et Pataud ne fut pas oublié.

Quant aux moutons, il n'y avait pas à s'en inquiéter. Ils trouvaient tout seuls de quoi manger. Ils broutaient l'herbe à belles dents avec un petit bruit régulier.

L'heure était chaude. François qui, tout le matin, avait fait la chasse aux hannetons et aux papillons, et lancé des cailloux plats dans la rivière, s'endormit sous une aubépine.

Les moutons aussi dormaient à I'ombre d'une haie, et Pataud, le nez dans ses pattes, mais l'œil à demi ouvert, comme un hon gardien qu'il était.

Tout était immobile. Les oiseaux même se taisaient. On entendait seulement le bourdonnement d'une abeille.

Elle allait, venait sur les fleurs, faisait sa provision de miel. Et Jeannette, dans un demi-sommeil, croyait qu'elle lui disait :

- Suis-moi, suis-moi, petite fille.

Alors elle se leva et suivit I'abeille. Pas bien loin, jusqu'au bord de l'eau. La rivière coulait claire. On voyait les cailloux du fond, les longues herbes, de jolis poissons qui filaient, avec leurs nageoires d'argent. Et quelquefois une grenouille verte sautait en faisant un «flac» dans les joncs.

Au delà de la rivière, il v avait une autre prairie, et plus loin la forêt Bleue. On la nommait ainsi de la couleur de son ombre, forêt de hêtres, de châtaigniers, de longs sapins. Elle s'étendait au loin sur toute une partie du pays. Elle était pleine d'oiseaux, de mystères, de bêtes sauvages, lapins, chevreuils, écureuils roux, ...peut-être d'ours et de loups...

Jeannette regardait la Forêt, et elle s'émerveillait de voir sur I'autre rive cette prairie que les moutons ne pouvaient pas tondre, où I'herbe était plus verte, les fleurs plus brillantes. L'abeille qu'elle avait suivie s'était envolée jusque là.

Et, comme elle regardait, Jeannette vit tout à coup des petites filles de son âge qui chantaient et dansaient une ronde.

Toutes étaient vêtues de bleu, avec un petit chandail clair. Et Jeannette se disait qu'elle n'avait jamais vu de petites filles plus heureuses et riant de meilleur cœur.

Semblable à leur soeur aînée, et vêtue de bleu comme elles, une jeune fille (était-ce une jeune fille ?) «une belle dame», pensa Jeannette, prenait part à la ronde.

Elle s'arrêta, aperçut la petite bergère, et sourit.Jeannette n'avait jamais vu de plus doux sourire, sauf à sa mère. Mais Ia «dame» était plus jeune. En Ia regardant, Jeannette songea aux belles images de saintes dans l'église de son village : Sainte Catherine avec son épée et le grand rameau qu'on appelle une palme, la petite Soeur Thérèse avec ses roses, d'autres encore.

Et elle songea aussi aux fées dont sa mère grand, à la veillée, lorsqu'elle était toute petite, lui avait conté I'histoire.

Fée ou non, la dame s'approcha :

Veux-tu venir avec nous ? dit-elle.

- Je le veux bien, dit Jeannette.

Elle regarda la rivière qui coulait rapide entre elles.

- Il faut la traverser, dit la dame.

L'eau était peu profonde et Jeannette était brave. Mais en, cet endroit, les bords étaient fangeux. Pour atteindre la prairie, il faudrait patauger dans la boue, trébucher, tomber peut-être.

Jeannette se souvint que le matin même, tandis qu'elle dormait encore, sa mère, tôt levée, lui avait lavé sa petite robe et le sarrau de François, afin qu'ils fussent nets et propres.

C'était un gros travail qui donnait de la peine, et qui avait coûté à la maman de Jeannette une bonne heure de sommeil.

Je ne veux pas me salir, dit la petite fille. Elle suivit le bord du ruisseau, cherchant un meilleur passage. Les cailloux du bord étaient pointus, elle se déchira les mains aux ronces et eut bien envie de pleurer, mais elle refoula ses larmes. Les petites filles là-bas semblaient si heureuses. Cela valait bien la peine de se donner un peu de mal pour les rejoindre.

Enfin elle arriva à une place où un joli sable clair s'étendait jusqu'à ses pieds. Elle commençait à se déchausser quand une voix, une toute petite voix, murmura:

- François, François... disait la voix.

Alors Jeannette se souvint de son petit frère qu'elle avait laissé endormi à I'ombre de I'aubépine. Et elle se souvint aussi que sa mère lui avait dit :

- Surtout, prends bien garde à lui, ne le quitte pas.

- Je I'emmènerai avec moi, songea-t-elle.

Tout justement, François venait d'e se réveiller. Il courut au-devant de Jeannette. Et quand elle eut parlé des petites filles de la Forêt Bleue, de la Dame au doux sourire, il courut encore plus fort, autant que ses jambes courtes le pouvaient porter.

Mais voici qu'au bord de I'eau, Jeannette vit bien que si elle pouvait traverser sans peine, il n'en était pas de même de François. Il était trop petit.

Elle essaya de le porter; mais s'il était trop petit, il était aussi trop lourd.

- Veux-tu que je vous porte tous les deux sur I'autre bord ? dit une voix.

Jeannette se retourna et elle vit le père Agasse, ce qui veut dire le père la Pie. C'était un vieux bonhomme du village, et il n'avait pas trop bonne réputation. On avait oublié son vrai nom, et on I'appelait la Pie parce que les pies sont voleuses. Le père Agasse ne vivait que de maraude, visitant basses-cours et clapiers pour y voler poules et lapins.

Il braconnait sur la terre du voisin, et pêchait là où la pêche était défendue.

Ce jour-là, il avait dans sa besace un gros lièvre qu'il avait plis au collet; le museau blanc de la pauvre bête, avec une goutte de sang, pendait un peu hors du sac.

Il répéta sa question :

- Hé ! les enfants, faut-il vous passer sur I'autre bord ?

- Volontiers, dit Jeanette.

- Donnant, donnant, reprit le vieux. Si tu rencontres le garde champêtre, tu lui diras que tu m'as vu partir du côté de Belmont.

Mais ce n'est pas vrai, dit Jeannette.

Le père la Pie haussa les épaules :

Bien sûr. C'est pour cela qu'il faut le lui faire croire.

Combien c'est vilain de mentir ! Que croyez-vous que fit Jeannette I

Je vous remercie, Monsieur, dit-elle avec une grande politesse, mais j'aime mieux rester ici.

- A ton aise, dit le père la Pie.

Sifflotant, il reprit sa route.

Cependant Jeannette, le coeur gros, songeait que jamais peut-être elle ne rejoindrait les petites filles de la Ronde, et la dame au doux sourire.

- Il faut essayer encore, murmura-t-elle.

Elle prit son petit frère par la main, et ils remontèrent la rivière. Ils arrivèrent à une place où de grosses pierres plates formaient une sorte de gué.

Jeannette poussa un cri de joie : François lui-même pouvait s'y aventurer sans crainte. Mais comme ils étaient au milieu, à I'endroit le plus difficile, elle entendit un jappement :

C’était Pataud demeuré sur la rive :

- Ouah ! ouah I disait-il, et tes agneaux ? et tes moutons ?

C'est vrai que, tout comme François, Ies moutons lui étaient confiés. Eux ne pouvaient traverser sur les pierres. Toujours ils se poussaient I'un I'autre, maladroits et trop pressés. Les petits agneaux surtout risquaient de tomber et de se casser la patte.

- Cherchons ailleurs, dit-elle.

Tenant François par la main, suivie cette fois de tout son troupeau, elle se mit à marcher. Elle se sentait bien lasse. Les ombres commençaient à s'allonger. Encore un peu de temps, il faudrait songer au retour.

Alors elle tendit les bras vers la Ronde chantante, vers la Dame, vers la Forêt Bleue :

- Adieu, petites soeurs, cria-t-elle.

Et voici qu'au même moment, la Dame au doux sourire se détacha de la Ronde.

- Viens, petite Jeannette, dit-elle.

Et jamais son sourire n'avait été plus doux.

Les petites filles bleues accouraient autour d'elle. Elles avaient cueilli des fleurs, tant de fleurs que leurs petits bras avaient peine à les porter. Sur un signe de la Dame, elles les jetèrent sur I'eau et ce fut un pont merveilleux.

Marguerites et boutons d'or, tressés comme des cordages, formaient un splendide tapis.

Jeannette passa la première, le coeur tremblant d'émotion joyeuse, puis François qui la tenait par la jupe, puis les moutons jeunes et vieux, puis Pataud qui fermait Ie cortège.

Je vous laisse à penser combien tous étaient heureux.

Seul le petit François n'était qu'à moitié satisfait :

- Pourquoi les petites filles n'ont-elles pas jeté leurs fleurs plus tôt ? demanda-t-il.

Ce fut à Jeannette que la Dame répondit :

- Pour entrer dans notre ronde, pour venir dans Ia Forêt Bleue, il faut, petite Jeannette, connaître notre devise et suivre notre loi.

- Voulez-vous me les apprendre ? dit Jeannette.

Tu les sais déjà puisqu'elles sont dans ton coeur.

La devise est «de notre mieux».

N'as-tu pas tait de ton mieux aujourd'hui ?

Quant à notre loi, la voici :

Une Jeannette est toujours propre.
Tu as évité de te salir en traversant dans la boue.
Une Jeannette est toujours gaie.
Tu as retenu tes larmes quand tu avais envie de pleurer.
Une Jeannette est toujours active.
Tu n'as pas perdu courage quand tu te sentais fatiguée.
Une Jeannette dit toujours vrai.
Tu as refusé de mentir comme le père Agasse te le demandais.
Une Jeannette pense d'abord aux autres.
Tu as pensé à ta maman, à François, à tes moutons.

Et maintenant, Jeannette, entre dans notre Ronde.

Les petites filles bleues I'entouraient...

Mais quant au jeu merveilleux que Jeannette apprit dans la Forêt, nous en reparlerons un autre jour.


Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]