Séparation de la branche éclaireurs chez les scouts de France

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La séparation de la branche éclaireurs des Scouts de France et la création consécutive des branches pionniers et rangers est une réforme pédagogique de grande ampleur entreprise en 1964 par François Lebouteux, commissaire national éclaireur (CNE), et son équipe. A la suite de la non acceptation de cette réforme par certaines troupes, les Scouts unitaires de France seront créés et les Guides et scouts d'Europe progresseront sensiblement en effectif. Cette réforme est toujours un point de clivage fort dans le scoutisme en France. Selon la plupart des historiens, sa mise en place brutale est à l'origine de l'éclatement du scoutisme catholique en France dans les années 1970.

Motivation du mouvement[modifier | modifier le wikicode]

Les Britaniques avaient fait le pas dès octobre 1946 (Boy Scouts et Senior Scouts) sans toutefois généraliser la proposition, puis les Belges de la VVKS dans les années 50.

En France il y eut aussi des précédents avant-guerre, notamment à la troupe 1re Nancy Scouts de France d'André Sonrier ou celle du père Jean de Féligonde dès 1961 (précurseur, ses jeunes portaient des chemises rouges).

Dans les années d'après guerre, le monde et la jeunesse changent. Dans les troupes raiders, on voit un fossé se creuser entre les grands et les petits de la branche verte : les envies et désirs deviennent différents. Alors que les plus jeunes sont encore très portés sur le camp et l'imaginaire, les plus grands veulent du concret, ils veulent changer le monde qu'ils trouvent vieillissant par des grands projets, des grandes entreprises. Le scoutisme au service de la jeunesse doit donc s'adapter à ce constat.

L'expérience "Raider" étant un franc succès, bien des cadres nationaux Scouts de France sont persuadés que le scoutisme doit aller plus loin et proposer une pédagogie spécifique aux plus âgés des troupes.

En parallèle, la branche Route évolue et prend des positions syndicales ou politiques de plus en plus fréquentes depuis l'arrivée de Michel Rigal en 1952 au commissariat général (George Gauthier fatigué, démissionne). Enfin, la Route désire se transformer en "mouvement de jeunesse" aux conceptions sociales et religieuses "ouvertes" sur le monde nouveau, ce qui amène Michel Menu à démissionner. Cette période est donc marquée par la Crise de la Route.

A la fin des années 50, François Lebouteux mène la réflexion sur les "vieux éclaireurs" qui le pousse à envisager la création d'une nouvelle branche adaptée aux 15-17 ans, débarrassée du style "commando" des raiders.

Il est alors envisagé de diviser la branche verte en deux pour créer les pionniers et les rangers. De facto cela avait lieu dans quelques groupes avant même la réforme : la troupe A raider ayant une moyenne d'âge plus élevée que la troupe B du même groupe.

Après quelques essais concluants encouragés par Michel Rigal, la nouvelle branche est créée officiellement en 1964. Ce changement est fortement lié à des envies de progresser, de faire évoluer le mouvement pour s'adapter à un monde en voie de socialisation. La réforme est appelée "Pionniers-Rangers" du nom des deux branches créés grâce à la branche "éclaireurs" : c'est la fin du système des patrouilles comme l'entendait BP.

La notion de pédagogie tend à se substituer celle de méthode scoute. Il est à remarquer que les années 1958-59 voient les débuts de la mise en place du collège unique, le prolongement de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans. En 1963 c'est la création des collèges d'enseignement secondaire. Ces réformes ministérielles sont ainsi menées conjointement à celle engagée par les SDF dont une partie des dirigeants sont désormais issus du corps professoral. Parallèlement une partie importante du clergé, à la suite du Concile Vatican II, considère que le scoutisme catholique est élitiste et que sa pédagogie est dépassée.

Le Scoutisme en trois branches pensé et mis en place par BP est donc revu et corrigé pour s'adapter aux besoins du temps. Dès 1960, cela entraîne de l'hostilité. L'un des premiers à monter au front est Michel Menu. Il écrit un livre "Scoutisme et engagement" qui s'efforce de redonner du sens à la pensée créatrice de Baden-Powell.

Application de la réforme[modifier | modifier le wikicode]

François Lebouteux entend moderniser le scoutisme et le rendre plus attractif. Certaines troupes expérimentent la scission en deux branches à partir de 1961-1962. Lebouteux lance avec son équipe l'"Entreprise 62" en 1962 qui a pour but de réaliser des travaux utiles à la collectivité et relayés par la presse. Le meilleur exemple de cette démarche est la piscine de Concoules (un village cévenol isolé à 1500 mètres d’altitude) par quelques troupes scoutes.

Les premières expérimentations des postes pionniers ont lieu à partir de 1962 et 1963, suivies de près par le QG. La sélection pour le Jamboree de Marathon en 1963 ne concerne que les unités expérimentales.

Le 24 janvier 1964, François Lebouteux obtient l'autorisation du Conseil national Scouts de France pour généraliser l'expérience à tout le mouvement. L'assemblée générale se déroule le 22 mars, elle est découplée des journées nationales. Le projet est mis au vote et obtient 161 voix pour la généralisation, 23 contre [1]. Une motion des réfractaires visant à laisser le choix aux troupes de se scinder ou non n'est pas inscrite à l'ordre du jour par la direction du mouvement. Les pionniers-rangers sont dés lors la "pédagogie" officielle et unique du mouvement. Le livre L'école du chantier est publié pour expliquer les motivations de l'équipe nationale et présenter la nouvelle branche Pionniers.

Conséquence à l'intérieur et à l'extérieur du mouvement[modifier | modifier le wikicode]

Lors du lancement de la réforme, plusieurs journaux catholiques se félicitent de cette évolution du mouvement, comme Témoignage chrétien. Néanmoins, une vague de fronde ne tarde pas à naître, de nombreux tracts et circulaires se mettent à circuler dans le mouvement et remontent au QG, rue de Dantzig. D'autres journaux ne tardent pas à prendre le contrepied de l'enthousiasme premier. L'équipe nationale visitera la France pour présenter et défendre sa réforme, et elle sera souvent confrontée à un refus frontal des chefs et parents. Plusieurs grands anciens, dont Pierre Delsuc, prennent partie contre la réforme. Maurice Travers lance la revue Réflexions de scoutmestres avec l'aide de Michel Menu pour continuer à offrir une formation aux maîtrises des unités "classiques". L'Association pour le soutien du scoutisme travaille dans le même sens tandis qu'un Comité des mille lance des attaques plus fortes sur la réforme. Le QG obtient le soutien public de l’Église grâce à Mgr Lallier qui, en tant que président de la commission épiscopale de l’Enfance et de la Jeunesse, écrit aux évêques pour expliquer la réforme et critiquer les réfractaires.

Si dans bien dans des régions l'application de la réforme se fait à pas comptés avec une casse limitée, en Ile-de France le dégât est très fort. Les groupes de quartiers populaires, qui souvent sont encadrés par des chefs venus de l'extérieur, ferment un à un de 1964 à 1972, la nouvelle organisation exigeant plus de cadres. Dans les quartiers aisés la résistance à la réforme est souvent frontale. Bref la réforme "Ranpion" (pour Rangers-Pionniers) a du mal à passer.

Les scouts d'Europe ne sont alors qu'une petite association centrée autour du noyau Bleimor de Perig Géraud Keraod. Ils font le choix d'ouvrir les portes aux chefs dissidents qui quitteront les Scouts de France, tel que Marie-Claire Gousseau. Ainsi, de nombreux chefs passeront d'un mouvement à l'autre, changeant profondément la physionomie du mouvement des guides et scouts d'Europe.

Les SUF se créent en 1971

Les troupes unitaires résistent et continuent de refuser de se scinder en deux. La cohabitation se fera de plus en plus difficile. Michel Rigal garde le contact avec les unitaires mais finalement son successeur, Émile-Xavier Visseaux entend interdire de camp les dissidents. Devant cette mesure, de nombreux dissidents quittent le mouvement pour les scouts d'Europe ou les scouts St Georges et plusieurs troupes (notamment les jeunes chefs de la revue Raid) se réunissent pour créer les Scouts unitaires de France en 1971.

L'unitaire au sein des Scouts de France a posteriori[modifier | modifier le wikicode]

Une trentaine de groupes resteront néanmoins ou redeviendront unitaires au sein des Scouts de France, jusqu'aux années 1980. Plusieurs groupes migrent vers les Scouts unitaires de France durant cette décennie. Plusieurs troupes unitaires participent au jamboree de 1985 à Jambville en chemises beiges (ce qui a pu causer un raidissement des structures territoriales après ce rassemblement). En effet, au bout de quelques années, un phénomène néo-unitaire[2] apparaît :

  • Ainsi la troupe 27e Paris revient en 1978 à la pédagogie unitaire, en 1979, la troupe adopte l'uniforme beige. En 1984, la rupture avec les Scouts de France est consommée et la troupe rejoint les SUF. La 12e Paris la suite.
  • La 18e Paris du groupe Saint François de Sales y revient en 1980 jusqu'en 1996.
  • La troupe 21e Nice utilisait un système unitaire en 1985, en chemises bleues et short marron. Après avoir été mis en demeure de changer ses pratiques par la Codépie en 1986, une grande partie des effectifs participera à la fondation de la 1re Scouts Saint Georges de Nice.
  • A Vervins, la troupe se tourne aussi vers l'unitaire, ce qui provoque une scission vers l'association Raiders de 1985 à 1990, dans les années 90, le passage à la troupe dure 4 ans, ce qui permet de mettre en place le système des patrouilles quasi-unitaire.
  • A Martigues, la pratique est plus proche de la pratique unitaire durant les années 1990 et 2000. Après avoir suivi aux Scouts et Guides de France, les mésententes avec la structure conduise le groupe a rejoindre la FEE.

Au sein des groupes à l'étranger, de nombreux groupes SdF puis SGDF utilisent aussi la méthode unitaire, en rapport avec des chefs venus de divers horizons.

Les usages du scoutisme unitaire, soit symboliques, soit pédagogiques, perdurent de plus dans de nombreux groupes, qu'il s'agisse d'une place plus forte accordée à l'équipe et au chef d'équipe, du fanion, du rassemblement, ...

Autres réformes similaires[modifier | modifier le wikicode]

Liens[modifier | modifier le wikicode]


Notes et références


  1. Parmi les 23 voix contre, on trouve les 11 délégués d’Ile-de-France. Cette région se révélant très hostile à cette réforme et sera un futur terreau de recrutement des Scouts Unitaires de France.
  2. terme pris dans le livre d'Yves Combeau, Toujours prêts, Histoire du scoutisme catholique en France, Éditions le Cerf, 25 février 2021 (ISBN 978-2-204-13854-3)


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